Nous sommes tous à écrire sur la mer, la mer des temps heureux et des temps tempétueux. La tempête fait rage et nous nous accrochons à notre carnet de bord.
Écrire, écrire, écrire est notre force intérieure. Nous sommes soudés pour écrire ce partage de vie. L’épreuve de la tempête et de la houle nous fait chavirer de peur. Peur de la colline aux grands yeux, issue de nos lointains souvenirs de la terre.
Terre de la mer, terre du ciel aux nuages sombres et d’orage. Sur notre navire, nous sommes face aux éléments de la vie. Vie d’éclairs subversifs ou vie des temps persévérants. Adeptes de l’écriture, nous sommes des temps persévérants. La persévérance nous mènera à la terre, terre de soulagement, terre de travail et terre de bonheur.
La mer peu à peu se calme, l’écriture nous a sauvé de ce naufrage, nous étions restés soudés dans cette tempête, les vagues de dix mètres se transforment en mer d’huile au fil du temps, suspendu par notre courage.
Nous formions une équipe d’écrivaines en herbe et de poètes expérimentés. Nous nous remercions pour ce courage et ce partage d’épreuves. Nous arriverons à terme sur notre terre mère.
Sombrer ou naviguer vers l’inconnu: 20 juillet
Sur la mer tumultueuse, je suis seul à bord de mon navire. Tout est orage et vagues géantes. Je suis face à moi-même dans cette tempête. Je décide de me laisser couler ou d’affronter et d’accepter les éléments.
Par ma force de cœur et d’esprit, je fais le choix de me battre. Me battre et m’adapter à ces éléments que sont le vent, la mer, l’orage, les éclairs. Toutes ces forces de l’extérieur sont des peurs, je compte les apprivoiser en m’acceptant tel que je suis. Toutes ces forces, je les intègre. L’intériorité pour sublimer mes peurs. Je me transcende en m’apaisant. Alors la mer s’apaise autour de moi. Je suis le courant qui va me faire naviguer vers l’inconnu. J’appréhende aussi cet inconnu, il traverse mon esprit et mon cœur. Que vais-je trouver dans cet inconnu ? De la force qui me conduit à un état de sérénité.
L’inconnu, aussi va me transformer, il va le libérer de mon navire et je vais trouver une terre propice à mon épanouissement, tout en appelant mes souvenirs de forces extrêmes. Naviguer vers l’inconnu après avoir combattu les éléments et mes peurs, je suis prêt à explorer toutes les terres.
Charlotte Duverdier
Sous un ciel si bleu: 15 juillet
ça brille et ça scintille. C‘est bleu, très bleu.
Des bruits doux comme la brise qui gonfle les voiles et pousse les planches. Les balançoires n’attendent personne ; il fait trop chaud. L’espace est sans tabac, sans cris, sans rires, sans joie.
Le bleu du ciel, le bleu de l’eau, le sable chaud.
Sur son piédestal, la colombe de la paix ne bronche pas, son rameau d’olivier cloué au bec ; de quoi rêve-t-elle ? voit-elle encore flotter les drapeaux tricolores au bout de son nez ?
Une seule mouette ricane et se risque au-dessus de la jetée.
Du port, sort un énorme porte-containers. Il pointe son nez vers la large, tranquillement. Il sait où il va et la mer est si calme. Le chenal bien balisé lui ôte toute initiative hasardeuse. Que transporte-t-il ? Où va-t-il ? Seuls les marins à bord le savent.
Aucun autre navire en vue ? Sauf un, loin à l’horizon.
La brise se lève un peu plus fort et les planches glissent plus vite, amorcent un ballet sans chorégraphe. Expression libre.
Le porte-containers, lui, poursuit très placidement sa route. Il part pour des milliers de miles et ce n’est que le début du voyage. Il prend son temps. Il profite du beau temps. Plus tard peut-être connaîtra-t-il des tempêtes. Il n’anticipe rien, profite juste de ces instants sans crainte.
Sous un ciel si gris: 20 juillet
Pas de bleu ; tout est gris ou couleur de vase.
Files d’attente aux balançoires. Marée basse. Pas de baignade.
Le vent frais oblige à se vêtir.
La colombe de métal,statique sur sa colonne de pierre,scrute l’Orient. Elle se désole pour le Yémen,la Palestine ou l’Ukraine ,mais n’en montre rien.
Perché sur la butte de sable,tout de blanc vêtu, le front ceint d’un bandeau de tissu, un animateur captive une bande d’enfants pour une mystérieuse quête.
Aujourd’hui, 15h50, aucun porte-container ne pointe son nez . Pas de cargo en vue. Le chenal en basse mer ne permet pas leur navigation. Ils attendent probablement au loin la marée favorable.
Les carrelets, en bord de jetée, restent inactifs,seulement agités par le vent. Rêvent-ils de poissons ?
Temps gris,marée basse,petit crachin. On remet les pulls,on rassemble tout dans les sacs et les paniers. On lève le camp.
Quelques amateurs de balançoires profitent encore un peu ; ils ont tant attendu. Qu’importe le crachin...pourvu qu’on est l’ivresse !
L’horizon se bouche. Le vent se renforce. La bruine devient fraîche, presque froide. « On ne va pas rester bien longtemps ! » dit une grand-mère à son petit-fils. La plage, le remblai, les terrasses se vident. On déserte.
Le bateau bleu -tiens un peu de bleu !- rentre de mission. Il revient à quai, lui qui assure les liaisons entre les éoliennes et le port.
Il n’est que 16h, c’est l’été, mais tout semble sonner la fin de la journée. Il est l’heure du goûter, des jeux de société,du dessin animé. Du repli au creux de fauteuils et des lits. Il est l’heure d’attraper un livre. De plonger dans une autre vie;De rêver d’autres horizons. De partir pour un voyage imaginaire.
Sous un ciel bleu avec nuages: 27 juillet
Marée haute. Trafic de bateaux. Celui-là est un gros bateau de pêche qui rentre au port. Ligne de flottaison très haute sur la coque.
L’animateur de blanc vêtu est assis,seul, au sommet de la butte de sable.
Pas de vagues formées, à peine des frisottis d’écume et des scintillements.
Le bateau n’est pas de pêche- maintenant, vu de près- le pont chargé de tuyauteries, de pistons et de valves.
Conciliabule autour de l’homme en blanc. Puis dispersion des enfants. Mystère.
Un monde marin façonné dans le sable a surgi de la plage et qui attire les passants ébahis.
Ciel de cartes postales aux nuages joufflus,soleil à bronzer,touristes.
Je ne me sens pas en phase avec ce monde-là. Etrangère en ces lieux pourtant connus. Ma préférence va aux espaces déserts, à la lumière matinale, aux saisons intermédiaires.
Mi-temps: 28 juillet
Déjà Août, milieu de l’été. Ne rien précipiter . Vivre Août intensément, joyeusement,au jour le jour.
Voyager sans bouger. Me vouloir multiple.
Je suis le phare au bout de la jetée. Je guette, j’observe, j’indique les récifs,les dangers et l’entrée du port.
Je suis la mouette qui voit le monde d’en-haut. Je me rêve en Jonathan le Goéland.
Je suis le cri des oiseaux de mer, le bruit des vagues,les rires des enfants, les aboiements des chiens,le frottement des roues sur le béton du remblai.
Ce ciel toujours bleu: 10 août
Aujourd’hui, je renonce à sortir jusqu’à la plage. Chaleur suffocante.
Je dis que je suis une fille de l’hiver. J’ai dit que je n’aime pas l’été. Je n’aime en fait pas les « trop » de l’été. Quand ça brûle, quand c’est bruyant, quand il y a trop de monde. (trop de monde...drôle d’expression,non?)
Et je peux dire que j’ai aimé l’été. Et que j’aime encore l’été mais autrement.
Etés de mon enfance : Mimizan plage, le Lavandou, Cap breton. Et le lac bleu d’Aiguebelette en Savoie. Des souvenirs joyeux de liberté, d’insouciance, d’amitiés ,de jeux d’eau et de soleil.
Etés de mon adolescence : Les plages italiennes côté Calabre ou côté Adriatique. Et toujours le lac d’Aiguebelette, son eau si douce à la peau,les traversées à la nage du ponton de l’hôtel au ponton de l’île. 1000 mètres si on ne dérivait pas.1000 mètres pour le retour. Douze étés de paradis et un séjour plus récent qui a confirmé mon attachement à ce lac.
Etés de ma (presque) maturité : En juillet, animatrice en centre de vacances et bord de mer ; au Pradet, petite crique rocheuse de Méditerranée où il faisait bon de se sécher sur les roches presque brûlantes et replonger ensuite dans cette eau fraîche. Traverser pour le retour les pinèdes odorantes toute bruissantes du frottement d’ailes des cigales. En Vendée, à la Faute-sur-mer, entre plage et lagune. Le souvenir de toutes les coccinelles qui venaient par milliers finir sur le sable sans que nous en sachions la raison. En Août, itinérance,camping sauvage ,torrents dans les hauteurs de l’Aude,marches en montagne,groupe d’amis joyeux.
Changements de vie : l’été, je travaille. Vacances hors saison. Le calme des lieux désertés. Vacances à deux. Parfois, avec un autre couple d’amis. Autre rythme, autres choix. De la Lozère en Septembre. Paysages de contemplation. Beauté des lieux infiniment. Je me souviens de l’île d’Oléron en Octobre. Du pays de galles à la fin de l’automne.
Eté veut tout de même dire loisirs, concerts,balades, verres en terrasse. L’effervescence dure deux mois et c’est bien. Suffisant. Avant le calme revenu de Septembre. Les touristes repartis, se retrouver entre nous. Refaire le monde des nuits entières, partager des repas,se concentrer ou s’enflammer autour des jeux de société,se rencontrer vraiment. Prendre le temps. L’intensité du temps précautionneusement.
Il y eut les « étés de mère ». Faire découvrir à mon enfant des sensations nouvelles, de nouveaux univers. S’émerveiller de ses découvertes.
Mon fils a grandi, j’ai vieilli. Les amis ont leurs propres vies. Leurs propres projets. Les étés sont devenus solitaires. Ce qui n’est pas pour me déplaire. Temps de répit, temps de repos, d’écriture, de visites, de ressourcement. De lectures. Ces gros romans qui demandent du temps.
Et sont venus les étés du temps de la retraite. Eté ne veut plus dire vacances. Ne veut pas dire, voyage. Ne veut pas dire, ailleurs. Je me replie dans mon jardin. Je me contente de quelques conversations avec quelques voisins et voisines. Quelques escapades locales pour une exposition, un salon du livre ou de créateurs, un atelier d’écriture. Une balade à Nantes. Angers, peut-être. Prendre le temps de téléphoner à des amies lointaines. Envoyer quelques cartes postales. Eviter la foule, le bruit,la chaleur. Et même l’eau qui dépose ce sel sur la peau et que je ne supporte plus.
Rechercher l’ombre, la fraîcheur,la douceur du matin, quelquefois celle du soir sous le ciel somptueusement étoilée de l’été. Vivre l’instant.
« Les gens s’étonnent toujours que vous ne quittiez pas Paris l’été,sans comprendre que c’est précisément parce qu’ils le quittent que vous y restez. » Henry de Montherlant
Orage , ô vieillesse ennemie ! 17 août
J’avais imaginé aujourd’hui oser- peut-être!-écrire les pieds dans l’eau, là où effleurent les vaguelettes et où les pieds s’enfoncent dans le sable à chaque reflux.
Il pleut. L’atelier d’écriture n’aura pas lieu.
Je n’écrirai pas les pieds dans l’eau, mais à l’abri des nuages, du vent, des gouttes d’eau. C’est aussi ça l’été. Des orages, des averses : une respiration attendue, appréciée, après le trop chaud soleil de cet été 2022.
17 août déjà. Dans deux semaines, la ville prendra son allure de rentrée. Nous verrons moins de visiteurs, plus beaucoup de baigneurs. Des élèves qui courront attraper leur bus.
L’été sera presque fini. Je n’aurai pris aucun bain et je le regretterai. La chaleur aura freiné mes envies de balades . J’aurai le sentiment d’avoir raté quelque chose. Comme chaque été depuis quelques années.
Je me consolerai avec l’automne...peut-être.
Je voudrais savoir vivre l’instant présent. Intensément, pleinement. L’âge devrait m’y aider. Et ce n’est pas gagné. Trop d’anticipation, pas assez d’action . Trop sensible aux variations du temps qu’il fait. Trop souvent « mal partout ». Peut-être est-ce ça vieillir ? Ajuster ses envies à ce que peut le corps. Renoncer aux longues randonnées, sac au dos, nez au vent, lointains comme horizons. Renoncer aux imprudences. Rester trop sage. Ne plus oser l’aventure, même minuscule. Rêver et renoncer à certains de ses rêves.
Pourtant, je prendrai encore le train ; et le trajet aura autant d’importance que le but. Visiter encore quelques villes inconnues, proches mais inconnues. Se contenter de balades urbaines. Observer, se poser à une terrasse, écouter ce qui se dit aux tables voisines, déguster une spécialité locale, cheminer paisiblement dans les rues, au hasard, tenter quelques musées. Lézarder. Prendre le temps mais jamais beaucoup, jamais assez. Découvrir que je ne sais pas prendre le temps. Pendant quelques jours être dépaysée. Ailleurs.
Puis revenir doucement. Profiter de la parenthèse du voyage en train comme un temps suspendu. Revenir chez soi. Et déjà, penser à la prochaine petite escapade. En dehors de l’été. Trop de monde. Trop chaud.
Sophie Fay
Il y a tant, trop d’images: 27 juillet
En face de moi un très petit phare coincé entre deux encombrantes sculptures de béton, à gauche des mouettes sagement alignées, faisant frontière entre la digue du port et la ligne de côte de l’autre côté de l’eau. Mon œil, comme un crayon, s’en fiche de la perspective, et m’informe que ce que j’entends n’a rien à voir avec ce que je vois.
Des cris d’enfants me renseignent, car c’est l’été, sur les jeux de plage que je ne vois pas. Des raclements de chaises et bavardages lointains, me signalent que je tourne le dos à un restaurant. En bruit de fond les rires des passants enveloppent les soins attentifs d’un père venu à l’ombre d’un pin montrer la mer à sa très jeune fille dans un fauteuil roulant. Les conversations m’échappent, les bruits d’assiettes persistent, le phare se tait et les mouettes sont trop loin pour que je sache leurs cris.
Une guide et ses touristes se poste devant moi, confisque toute mon attention, Estuaire de la Loire, agglomération, 34 œuvres - Je vois leurs pieds immobiles, des sandales plutôt chez les femmes, des baskets plutôt chez les hommes – la pince de crabe de Saint-Nazaire … Je me laisse expliquer les œuvres, car c’en est, que sont les deux gros blocs de béton disgracieux qui bloquent mon horizon.
Un vieux cargo s’approche, majestueux sur l’horizon, bleu et rouge ponctué de rouille, me réconcilie avec l’espace. J’entends son moteur tranquille qui s’énerve là, juste devant moi, pour freiner sa trajectoire avant de rentrer dans le port, petit miracle du quotidien.
Le car de touristes est parti Le père a discrètement disparu avec sa fille Le restaurant s’est calmé, le service est terminé.
Il reste cet air chaud qui monte avec son odeur d’aiguilles de pin, et le ballet incessant des navires dont j’ai du mal à saisir l’usage. Un cargo, une barge, une abeille, celle-ci est du Croisic, une plate-forme de forage, une drague, un zodiac, un voilier mais il ne fait que passer, quelques mouettes.
La marée descend, l’écluse ferme ses portes. Il reste le phare, caché derrière ses blocs de béton.
Lou-Anne Boucher
27 juillet Ma mer. Son inspiration Fait gonfler Une vague impression De flottement. Son expiration Chatouille mes sens. Je vis au gré De sa valse avec Lune. Je nage dans Son eau de vie; Liquide amniotique Me berçant depuis mon éclosion. Moi, enfant de mer.
*
De quel côté se trouvent les vagues ? Vagues scintillantes, reflet du ciel et habitat du peuple de l'océan. Vagues de sable que vents et passages forment continuellement. Vague à l'âme qui plonge les êtres dans un tourbillon de questionnements. Sur la plage, la vague la plus impressionnante est peut-être celle que forment les immeubles. Tsunami artificiel qui se propage sur la nature.
*
Le vent est invisible. On ne perçoit que son action sur les choses. Le vent ne fait aucun bruit. On ne perçoit que son frottement sur nos oreilles. Le vent est inodore. On ne perçoit que ce qu'il transporte. Le vent n'a pas de goût. On ne perçoit que le frais sur la langue. Il semble inconnu, pourtant il est ce qui nous côtoie de plus prêt. Il nous touche, nous caresse, nous enveloppe, entre en nous et participe à notre vie. Il emporte notre esprit et le fait voler plus haut que ce que nos pieds peuvent espérer. Merci au vent.
mercredi 3 août
Amarré au paysage océanique, Je jette l'ancre sur mon papier. J'écris sur la ligne d'horizon, Les lignes des vagues, La ligne de la bande de sable, Les lignes d'une table en bois. Des mouettes et des hommes S'introduisent sur elles Changeant leurs formes. Cette écriture est mouvante.
* Les marcheurs de vase effectuent un ballet de contorsions. La démarche chaloupée, ils lèvent haut les pieds pour choisir l'endroit de leur réception. Des mains se lient pour échapper à la solitude d'une chute. Des pantalons se retroussent, devenant shorts. Bientôt, chevilles et mollets ne seront qu'un lointain souvenir
Sophie Giguet: Mercredi 20 juillet 2022, plage de Saint-Nazaire
Je suis un stylo, Alexis a dit que j’étais un stylo, Je regarde l’eau, Cette eau qui compose mon paysage. Il pleut, un peu. Aujourd’hui l’eau est marron, verte, agitée, striée, La ligne d’horizon est brouillée, floue. Le grain arrive, il est là. Le vent monte. Les écrivains de plage ne bougent pas.
*
Le filet. Le carrelet. Les carrelets, suspendus dans le vide, attendent. Sages, un peu ridicules, ondulants dans le vent. Ils n’attrapent que du vent … les poissons doivent bien se marrer.
Damien Duran : 27 juillet
Nous passons du brouhaha de la présentation de l’atelier d’écriture à la quiétude de la plage quasi abandonnée. Je me retrouve seul, avec moi-même, dans le vent, la fraîcheur qui contraste avec la chaleur étouffante des jours précédents. Quel privilège de se retrouver seul avec ses sensations, ses espoirs, ses souvenirs! Le sable se confond avec l'océan comme un rêve qui se confond avec la réalité. Alors que tout le monde s'agite autour de moi, je peux m’introspecter et considérer que je suis un homme chanceux. J'apprécie chaque instant du temps qui passe, qui m’échappe. Je ne cherche pas à le retenir, attention louable, mais qui sera inexorablement vouée à l’échec. Je préfère me vider de moi-même et coucher sur cette page toutes les sensations qui me débordent. Le ciel se couvre, quelques gouttes de pluie me ramènent au présent. Je pense aux enfants qui n'ont pas la chance de découvrir la mer, les sensations de l'immersion de leur corps dans l'eau, du vent dans leurs cheveux. Pourquoi tant de décalage entre les plus favorisés et les plus nantis? Des souvenirs avec mes parents m’assaillent. Les soirs d'été nous allions déguster des fèves cuites à l'eau, saupoudrées de cumin, que ma tante avait préparées avec amour, et glissées dans des cornets de papier journal. Quel délice ! Je m'échappe à nouveau. La boucle se ferme. La communion intergénérationnelle que l'on retrouve dans l'écriture m’évoque les marées où la mer rapporte autant à la terre que la terre à la mer.
Annie Hullot : 27 juillet
L'air marin me parcours de pied en cape tandis que l'estuaire de la Loire s’étend sous mon regard qui cherche à se fixer. L'océan magnétique me fait des clins d'œil outranciers, il espère que je vous révélerai ses mystères, ses profondeurs, ses vies sous-marines. Je ne sais pas l'explorer, juste le caresser des yeux pour qu'il m'embarque ailleurs, du sud Loire au continent américain. Ce qui me fascine c'est l'itinéraire d'un enfant nazairien. Le garçonnet blond sur sa drezienne qui descend à toute allure de ses petites jambes la promenade de mer en chantant à tue-tête. L'acrobate en herbe qui escalade les jeux en bois et, arrivé au sommet, examine l'horizon comme un gardien de phare. L'adolescent aux membres trop longs, empoté dans son corps, qui disparaît sous un jean démesurément large et long mais qui dévoile une énergie sur sa trottinette qui le mène aux pentes accidentées du skate Park. Bientôt il sera étudiant à l'école des Beaux-Arts, il s'étonnera devant les sculptures géantes du pied, du pull, de l'intestin, avant de rejoindre la tour où il habite, au petit Maroc, sans savoir encore que la vue sans pareil qu'il embrasse ne lui était pas initialement destinée. Il y avait, là, la cheminée de l'usine élévatoire, identité industrio-maritime de la ville et la séduction commence. Il pourrait y rester un peu, danser sur la place du commando au rythme de la salsa les soirs d'été. Il se prend à respirer un air de bonheur simple et stimulant.
Katel Prigent 3 août
Le vent poussait mes cheveux vers l'arrière, je regardais le sable entre mes pieds puis l'horizon, jusqu'à ne plus supporter le soleil dans mes yeux. J'entendis derrière moi, des voitures passer de temps en temps. Quand le vent stoppa, le soleil se mit à brûler. Et le vent refit surface. J'avais beau avoir passé toute ma vie à cet endroit, je ne me lasserais jamais de cette paix. De temps en temps, des groupes d'amis, de familles, marchaient à côté de moi, leurs conversations semblaient être en parfaite harmonie avec ce qui m'entourait. La plage n'était pas la plage sans ces parts de discussions.
Les enfants en bas âge passaient leurs premiers instants ici. Équipés de casquettes, couvrant à 360° du soleil, réfugiés dans des tentes ou trop occupés à construire des châteaux de sable. Pendant ces après-midi, le temps s'arrêtait. Les occupations de chacun étaient si primordiales que tout le reste n'était qu'un décor de théâtre. On ne remarque plus rien... hormis les mouches qui n'ont d'yeux que pour notre peau.
Je pris mon courage à deux mains et décidai de me lever. Mes bras poussaient mon corps vers le haut, puis mes jambes. Mes muscles se rallumaient et les mouvements que j'effectuais pour reposer mes affaires dans mon sac me rappelaient à quel point j'avais endormi mon corps en rêvassant. Je bus la dernière gourde et regagnai le remblai. Il était rare pour moi de revenir chez moi sans musique. Cela pouvait changer toute mon humeur, ma motivation, mes plans. Mais cette fois-ci j'étais tellement apaisée que je ne me donnais pas la peine de le faire. Le chemin jusqu'à l'appartement était toujours différent de l'aller. C'est comme si je m'étais transformée, simplement en me rendant à cet endroit. Pendant quelques heures, plus rien n'avait d'importance.
J'humectai mes lèvres et j'entendis presque mes cellules craqueler.
Le bain de soleil m'avait tellement apaisé que je percevais à peine mes pensées.
Arrivé devant mon immeuble, le chien des voisins s'aperçut de mon retour et aboya si fort qu'il réveilla la grand-mère en face, habitant au rez-de-chaussée. Elle sortit avec son bonnet de nuit, lui criant d'aller se faire voir. Je regardai dans ma boîte aux lettres pour la 3e fois de la journée "au cas-ou" et montai les escaliers. J'appréhendais de rentrer. Je devais me forcer pour sortir de mon cocon mais, une fois sortie, il était la plupart du temps inconcevable que j'aie à y retourner. Je m'affaissai dans mon canapé et lançai Bojack Horseman sur la télé. J'étais tellement concentrée que le bruit de pattes sur la baie vitrée s'intensifia. Je réalisai enfin que Matou était derrière la porte du jardin et attendait que je serve son dîner. Le clic du verrou lui rendit silence et il me toisa, en route vers ses croquettes. J'étais si contente de vivre enfin seule.
*
Aujourd'hui la marée est basse. Il fait si chaud que la ville se réunit aux coins d'ombres. En face de nous se trouve deux amies dégustant leurs glaces, à peine assises, leur guide touristique les rappelle. Il fait doux et chaud. Les touristes et leurs beaux chapeaux ne cessent de se regrouper. J'observe les passants. "On va faire un tour de l'estuaire puis nous prendrons le bus". Un enfant fait de la trottinette. Un autre tient une pelle et semble déterminé à aller dans une direction. Un autre enfant imite un dragon et regarde autour de lui comme s'il donnait un spectacle à la plage. "Quel bordel! J'avais pas verrouillé la porte des toilettes alors les lumières des toilettes se sont éteintes". À l'ombre, la température est supportable. Du moins si le seul mouvement exercé est ma main allant de gauche à droite sur ce papier. Le petit garçon à trottinette est tombé. La chaleur me fatigue.
Les arbres qui m'entourent me rappellent les baobabs de la planète du Petit Prince. Je suis à la plage mais les arbres m'emmènent autre part. Ils me protègent du soleil et me mettent dans un cocon.
À mes pieds se mêlent sable, branches et mégots. J'entends le chant des oiseaux et quelques courageux s'aventurent près de moi.
Ma motivation se dissipe et l'ennui s'installe. Le bar met des musiques datant de 2014.
Le ciel ressemble à une énorme soucoupe volante.
Le temps qui passe semble stagner et je me dis que c'est ça l'été.
Trestan Trémoureux 10 août
Des étincelles sur la mer, le vent taille les dents de ce monstre endormi. L'émail diamanté se meut à l'envi et sur le rivage, les vagues accouchent de tartre éphémère
Tableau d'un passé insondable, désert de vie dans la ville. Actuellement qu'en est-il ? de ce chapelet de rochers, ils en ont fait une jetée, et pour la sécurité de cette pléthore de pieds, ils ont installé des bouées
Qu'est-il nécessaire à la nature humaine ? Du remblai de Saint-Nazaire, la totalité de la réponse subsistera vaine mais du voyage dans mes limbes, de ce paysage autour
Il entendra qu'il faut aspirer non seulement au poulet cuit... mais aussi à la graisse dans le four il entendra les deux sens rétroactifs de cette noor.
Camille Marchand: 24 août
Le bruit de l'eau, les cris des oiseaux. La barge rouge dépasse le phare vert. Mais que fait-elle de la "pince de crabe" ? Aucun regard, elle passe, imperturbable, insensible au pied, au pull et au tube digestif. Imposante, lourde mais rapide. La tôle face au béton.
(j'ai appris grâce à la visite guidée qui est passée près de moi pendant notre temps d'écriture, que l'endroit où je me trouvais s'appelle la "pince de crabe")
°Les enfants sur l'herbe. Les coquillages sur le sable. Le pull sur les rochers. La voix sage et calme d'un homme passionné. Je suis, à l'ombre de l'arbre, spectatrice de ce monde
Qui vibre à l'infini.
°C'est une peinture, une photographie, un instant volé, un rêve éveillé. Med Adriatic, mais quelle belle entrée ! Tous nos regards te suivent. La femme assise s'est retournée,
Les conversations se sont arrêtées. Ta ligne rouge s'étire. Jusqu'à disparaître... L'image s'est envolée,
Le son s'est atténué. Les marcheurs reprennent leur chemin,
Les mouettes leurs chansons. La femme assise s'est levée. Le spectacle est terminé.
Virginie Dréan
Revenir à son port d’attache: 24 août
De la dune, les pieds dans le sable tiède, le regard au loin et le visage caressé par les gouttes de pluie, j’observais. Saint-Nazaire, la ville où je suis née. Saint-Nazaire… Ce son métallique et à la fois mélodique. Comme cette plage. Populaire, joyeuse, avec un goût de vacances, de gaufres et de jeux. Et aussi historique, responsable, témoin des entrées et sorties des nombreux bateaux qui œuvrent au port, à la base sous-marine. De la légèreté et de l’histoire, du voyage et de l’empreinte.
Pourquoi cela m’émeut-il tant de voir ce longiligne bateau rouge et blanc rentrer au port, lentement, sûrement, avec grâce mais aussi puissance et certitude ?
Parce que moi aussi je suis revenue ? Rentrée de mes voyages, appelée par ma source, mon centre, mon port d’attache ?
Le soleil chauffe. Saint-Nazaire retrouve son ambiance balnéaire, estivale. On oublie l’histoire et on profite des moments familiaux, des plages du centre-ville qui se parent de leurs habits d’été. Les touristes affluent, les enfants rient. Ici on échange, on partage, on parle, plus que l’on ne se baigne. C’est la caractéristique, je crois, des plages des villes.
Celle-ci s’appelle la Plage du Commando. Et voilà de nouveau ce mélange de douceur et de lourdeur. La plage et le commando. Qu’ont-ils à voir ces deux là ? On y revient à l’histoire… Un environnement qui invitait au voyage, à la rêverie, à la sensation de liberté et au plaisir, et qui est devenue estrade, terrain de jeux guerriers, de possessions, de bataille et de haine.
De nouveau, à l’horizon, un bateau. Et de nouveau ce mot, revenir. Venir à nouveau. Cette fois le bateau, plus court, toujours rouge et blanc est escorté par un plus petit, marine et blanc, qui ressemble davantage à un bateau de pêche. Parce que parfois revenir c’est difficile. Parce que ça fait du bien d’être épaulé, encouragé quand on redécouvre ses terres, quand on foule, de nouveau, un territoire connu, qu’on ne connaît plus.
Je regarde ce bateau et je repense à mon arrivée ici, il y a 6 mois. Je repense aux balbutiements de cette nouvelle vie en terre pourtant connue. Retrouver sa place au port, recréer un équipage, une flotte ; définir son cap et se sentir capitaine. Tout cela est bien flottant…
Je souris. Il me semble lire MER ADRIATIC sur le bateau rouge. Comme un clin d’œil à l’Italie, à la côte où je me baignais il y a quelques mois encore.
Diane de l'Estourbeillon : 10 ans
24 août
Mon petit frère fait des choses incompréhensibles. Je le regarde et il joue avec des balles, je tourne la tête et quand je le regarde à nouveau il joue avec du sable.
L'eau est bleu claire et foncée à d'autres endroits, ensoleillée a perpet' ou pas. Naviguant entre les couleurs changeante d'aspect, coulant ou flottant, les gens cassent cette merveille tout en naviguant. Les nuages d'un gris plutôt clair voyagent dans le ciel, s'agrippant à d'autres qui s'en détachent. Les gens se promènent sous cette chaleur étouffante, souriant, pensant à des choses que je ne pense pas. Le vent est frais mais la chaleur y est, le sable est brûlant et l'eau est froide, le ciel est rempli de nuages gris annonçant la pluie.
Joëlle Meunier
La Plage Il fait beau ; il fait chaud, si chaud que chacun se cloître au fond de sa maison, telle une épouse musulmane derrière ses persiennes… Pourtant, il est un lieu où l’on se sent plutôt bien malgré la canicule, c’est au bord de la plage, de l’océan. Je suis là, assise mollement, regardant les promeneurs, torse nu, qui évoluent à gros pas lourds sur le sable, cherchant à utiliser une de ces douches qui ne remplit plus son office puisque, aucun millilitre d’eau n’en coule. Au loin, quelques plaisanciers se balancent. Les baigneurs sont inexistants malgré la chaleur. A Saint-Nazaire, à marée basse, point de baignade sauf si vous raffolez des bains de boue ou plutôt… de vase. Je le regrette car j’aime regarder les gens s’ébrouer, heureux de pouvoir se rafraîchir. Mais ici, dure de s’y faire, c’est baignade à mi-temps ! J’ai pourtant habité Le Havre toute ma jeunesse mais je n’ai jamais connu ça !!! Une douce brise me rafraîchit agréablement ; mon regard se porte au loin. Certes, le décor n’est pas laid ; il fait même oublier le béton ambiant de la ville. C’est une de ces villes où l’ »on se promène dans la rue entre les maisons ». C’est une ville béton, sans âme de quartier… Mais d’où je suis, je me sens bien. Juste la vue sur l’océan qui s’étend à perte de vue ; quelques rochers tout noirs me font penser à l’île de La Réunion. Aujourd’hui, il fait plus chaud ici que là-bas : « vos étés sont nos hivers »… la nostalgie m’envahit ! Le monument aux Américains à une toute autre allure. Il semble vouloir prendre son envol. C’est une mouette qui le fera pour lui avec une telle majesté. Elle bat des ailes, plane, revient vers moi puis disparaît à nouveau, définitivement. Elle emporte avec elle bien des rêves, bien des voyages, bien des espoirs… Que serait, du reste, notre vie sans rêve ? ; rêve de vie ; rêve d’amour, rêve toujours… On vient au monde avec eux puis on les oublie de çi, de là, maladroitement, inopportunément. Certains se brisent d’eux-mêmes laissant au cœur des cicatrices. D’autres s’insèrent, prennent leur place tout doucement, sans faire de bruit. Ils nous soutiennent un moment puis s’envolent à leur tour. Parfois, ils reviennent, demeurent un moment encore puis s’envolent à nouveau ! Qu’importe, du reste, le plus précieux n’est-il pas qu’ils aient existés et qu’éternellement, d’autres prennent leur place pour faire de notre vie un rêve éveillé ?
« J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux Et que leurs grands piliers droits et majestueux Rendaient pareils le soir aux grottes basaltiques »
La dune La dune est là, sous mes yeux. Elle me cache le paysage ne me permettant d’entrevoir qu’un bout de cheminée. Voilà, là, de quoi faire travailler mon imaginaire ! Derrière cette dune, peut-être y a-t-il un jardin des plantes en miniature, une serre, une chute d’eau comme aux Buttes Chaumont – en plus petit bien sûr ! – Petits et grands, courent pour les premiers, s’y baladent simplement pour les seconds. Mais tous profitent de cette douche improvisée qui les rafraîchit et les aide à supporter cette canicule inhabituelle. Des cris s’entrecroisent, des cris de joie et de bonheur. L’eau a souvent été synonyme de bien être expansif. Il n’y manque que quelques palmiers dont l’ombre serait un vrai petit bonheur pour chacun… Monsieur le Maire, s’il vous plaît … des palmiers !
La jetée La jetée s’étale de tout son long. On dirait un mur, un mur qui avance sur l’océan et cache l’envers du décor. Les cannes à pêche s’y accrochent avec fermeté. Sans lui, elles ne seraient que de petites choses ; là, elles prennent de l’importance ! Le phare, là-bas, tout au bout, seul, nous rappelle que sans lui, bien des bateaux n’atteindraient jamais le port ! J’ai toujours aimé me balader au bout d’une jetée car, tout au bout là-bas, je peux penser à des voyages lointains, à des pays inconnus, à des êtres vivants différemment, réagissant autrement. J’entends des musiques que je ne connais pas ; je photographie des paysages inconnus ; je joue le rôle principal d’une pièce de théâtre qui n’avait pas été écrite pour moi. Tout cela me plaît ; mon horizon s’élargit ; ma vie s’emballe… c’est génial !
Une légère brise se fait sentir. Mes yeux se portent sur le ciel bleu tout embrasé de jolis nuages clairs et illuminés par un soleil caché qui, parfois, au bout d’un nuage montre à nouveau le bout de son nez. La jetée, majestueuse, tend ses cannes à pêche vers lui mais il l’ignore. Le phare, lui, est plus incisif ; il pointe directement vers lui, droit comme un I. A l’arrière de la jetée tentent de s’imposer à mon regard le pull-over et l’intestin, objets de tant de polémiques ! Certains en disent pie que pendre et d’autres que les choses nouvelles ont toujours fait avancer l’art. Je reste dubitative ! La beauté du ciel qui se présente à mon regard me semble plus à même de faire avancer l’art dans la bonne direction. Ce mélange de dégradé de couleurs (bleu ciel, bleu turquoise, bleu marine…), serait-ce une approche tempérée des impressionnistes ? Eux, en effet, ont fait évoluer l’art mais pas dans un esprit opportuniste - comme c’est le cas aujourd’hui – Ils ont tenté de montrer le chemin vers moins de rigidité, plus de liberté, ce qui a profité à tous. La démarche était plus noble, non ?
Il pleut… Et ça me casse les pieds ! Il pleut… Mon papier est mouillé ! C’est toujours pareil ; toujours un élément perturbant ! Les enfants sur la plage, eux, ne sont pas gênés par la pluie. Ils jouent, crient et continuent de se chicaner « comme si de rien n’était. » Les adultes, eux, préparent leur sac pour rentrer !
2/J M
Ces réactions opposées m’interpellent ; pourquoi l’adulte ne garde-t-il pas sa candeur et sa spontanéité d’antan ? Pourquoi la vie nous transforme-t-elle à ce point ? Il est cependant des êtres humains, certes intelligents et avec souvent beaucoup d’humour, qui ont vécu plus de cent ans. Quel est leur secret ? Leur humour justement et le fait de garder jusqu’au bout leurs réactions et leurs yeux d’enfants. Messieurs René de Obaldia et Jean d’Ormesson, nous ne vous oublions pas…
Le "France" La place du Commando (lequel du reste ?) bénéficie d’un peu de calme dû à une faible fréquentation, sans doute à cause du temps menaçant. Les garçons de café en sont ravis ; les clients aussi car ils n’auront pas à attendre une vingtaine de minutes pour être servis ! Ils prennent même le temps de bavarder avec la serveuse. Non non, ce n’est pas un extrait du film « retour vers le futur » ! Juste sous mes yeux, la photo d’une danseuse en tutu et de son partenaire dansant sur un ponton du France. La légende dit que les artistes se battaient pour une prestation sur le France. Avaient-ils oubliés le Titanic ? Et vlan, cela me fait faire un grand bon dans le passé. J’entends les badauds autour de moi qui crient, qui applaudissent, qui agitent des foulards. Nous sommes le 3 février 1962. « J’ai dix ans, je crois bien que j’ai dix ans…. ». C’est un jour béni entre tous puisque, nous autres élèves des écoles havraises, avons été dispensés de classe pour pouvoir assister au premier départ du sublimissime paquebot "France". C’est son premier voyage officiel pour New York. « New York, j’ai rêvé New York… » Voilà, ma journée d’aujourd’hui aussi est absolument géniale puisque j’ai retrouvé, l’espace d’un instant, une émotion vieille de plus de cinquante ans ! C’est le cercle du bonheur ; comme les marées qui montent et descendent éternellement. Lui, le bonheur, il va, il vient, il disparaît et réapparaît. A chacun de l’attraper tel un pompon à la fête foraine ; et surtout de le garder et de le partager.
La bête s’est réveillée… Comme un grand fauve, elle pousse un cri puissant. Est-ce pour nous prévenir que notre tranquillité ne sera plus, désormais, qu’un joli souvenir ? Tout d’abord, elle ronronne puis redouble de volume, telle une vieille femme angoissée, pour n’être plus qu’un bruit de fond inopportun et lancinant qui nous pénètre jusqu’au fond du cerveau, l’emplit tout à fait et s’y installe lentement, hypocritement et s’accroche… De ma fenêtre, je l’aperçois qui tourne, qui vire, qui se répand sur la terre ou la soulève, la déplace, l’étale, la tasse. Du haut de sa cabine, la main de l’homme décide pour elle. Elle est soumise ; que n’a-t-elle appris à se taire ?! Dieu, que c’est con une grue ! C’est une machine obsolète qui, n’étant pas doté d’intelligence artificielle, reste une vieille dame d’un autre temps, du temps où les hommes étaient les seuls maîtres. Mais ça reste tout de même une belle emmerdeuse…
Le château Une mouette survole la plage, une fois dans un sens, une fois dans l’autre et revient encore et se pose sur le sable. Il doit être chaud pour elle aussi car elle n’y boitera pas bien longtemps. Elle s’envole à nouveau vers des cieux plus cléments et je la suis du regard. Au-delà de ce bel oiseau, j’aperçois le fameux « building » Il est, en effet, à la hauteur de Saint Nazaire… - que j’ai toujours trouvé fort vieux et laid et là, allez savoir pourquoi, il m’apparaît majestueux. On aperçoit juste son sommet qui se dresse et m’apparaît majestueux. On dirait un château du Moyen-Age qui surplombe les habitations des manants environnants venus se mettre sous la protection du Seigneur. Sont-ce toujours les seigneurs qui demeurent en ce lieu ? Et qu’est-ce qu’un seigneur d’aujourd’hui ? Un héritier venu au monde avec une cuillère en argent dans le bec et n’a jamais su ce que « travailler » voulait dire ? Un actionnaire chanceux ? Un individu qui « s’est fait tout seul » envers et contre tout ? Comprenez ma préférence pour ce dernier !
L’Amour La plage est calme. Les baigneurs font des allers retours du sable à la mer. Mais l’eau semble froide ! Une jeune fille vient de plonger ; elle ressort illico-presto en se frottant violemment les bras. Elle se secoue et replonge, ressort encore et se lance définitivement dans une nage énergique. Sur le sable, allongé sur le ventre, un homme suit son évolution du regard, heureux. Est-ce ça l’Amour ?
La plage est une étuve. Marcher sur le sable sans chaussure est quasiment impossible. Pourtant le sable est blanc et non noir comme dans certains pays où, là, la brûlure est assurée – Dieu que ça fait souffrir une brûlure sous la plante des pieds ! –. Les seules petites places d’ombre sont bombées comme dans le métro aux heures de pointe. Tout nouveau candidat pour une place à l’ombre est accueilli à regret. Il me vient alors à l’idée – pas si saugrenue que ça – que si les gens déjà installés et profitant de cette fraîcheur miraculeuse le pouvaient, ils me pousseraient sur le quai du métro me rejetant d’un « vous voyez bien que c’est plein » !