Ce tome III des Ecrits de nature rassemble plusieurs recueils depuis longtemps épuisés: Envol de l'ours (1998), Le Roc et la Faille (2001), L'Heure bleue (2004), Petit Nord (2006) ainsi que deux inédits: Les Doigts du harfang et Regards Ouest. Le Roc et la Faille explore les falaises de Saint-Pierre et Miquelon et une "île aux oiseaux" au nord de Saint-Pierre, le Grand Colombier. Petit Nord traite d'un village extérieur de la côte de Terre-Neuve, seulement accessible en bateau, et Envol de l'ours est un texte permis par des rencontres avec les ours noirs, dans les montagnes de la grande île. Les Doigts du harfang relate une autre recherche, celle d'un oiseau mythique, le harfang des neiges, observé au coeur du blizzard. L'Heure bleue s'inspire de ce bref moment du crépuscule où les couleurs des paysages du Nord se fondent dans une teinte pastel avant de verser dans la nuit. Enfin, Regard Ouest est un livre entier, consacré en toutes saisons à différents aspects du Labrador et nous faisant voyager des vestiges laissés par les baleiniers basques jusqu'à une cabane engloutie dans la neige au coeur de l'hiver; des mines de fer de Labrador City aux habitats qui s'échelonnent en direction de l'Arctique et sont peuplés d'Inuits, d'Indiens Innu et de trappeurs.
Jean-Pierre Delapré, à partir de ses carnets de dessins ou d'illustrations réalisées tout exprès, se tient cette fois encore au plus près du mystère des oiseaux, sans rien lâcher d'une précision et d'une justesse qui n'adviennent qu'après des milliers d'heures d'observation. Il s'est également attaché, dans ce volume, à la flore subarctique, si particulière, et à des paysages totalement dépouillés qui enflamment d'autant plus l'imagination.
Extrait: Après avoir vrillé un trou dans la glace aux abords de l'eau libre, à l'extrême limite qu'autorise la sécurité, nous laissons descendre nos lignes. Lorsqu'elles touchent le fond, nous les relevons un peu et faisons danser l'appât entre le limon et la quille lucide sur laquelle nous flottons. Des truites passent, trop petites pour l'hameçon. J'ai toujours vu en cette sorte de pêche la métaphore d'un juste placement par l'esprit, la traque de l'image en poésie. Quête ou attente : une manière d'appâter. Justesse du style au moment opportun : une façon de ferrer. Polissage et recherche du mot exact : secondes où l'on ramène la révolte du poisson, sans épuisette, avec un risque de décrochage à l'orée du sol. Surtout cette manière de jeter ses leurres dans le courant revient à organiser la chance. Car si le réel ne fait pas signe, si le monde ne donne pas réplique à notre souhait d'émotion, si le poisson ne vient pas se prendre, comme un retour d'amour, aux filets qu'on lui tend, la technique la meilleure ne garantira rien. La poésie n'éclot que dans un dialogue avec l'impondérable. Il faut y travailler, patient et rapide, il y faut de la clairvoyance et de la chance : rien ne promet présence à l'autre bout et tension du fil ; rien n'assure l'alchimie de la forme et du fond. Tout tendrait plutôt à la formation de ces cristaux de glace qui, progressivement, viennent immobiliser la ligne.
Carte des lieux décrits dans le tome 3
Ecrits de Nature : Tome 2
Le Pays voilé, qui occupe la majeure partie de ce deuxième volume, est le récit d'un an de vie dans le nord de l'Ecosse. Se déroulant au fil des saisons, ce livre fut écrit, comme toujours chez Alexis Gloaguen, sur le vif. Il transporte le lecteur au long de paysages immenses et fait sentir leur diversité changeante, non sans accorder une attention toute spéciale aux animaux qui les peuplent. On passe des forêts aux estuaires, de la vie quotidienne des Highlands à des bivouacs de montagne, y compris au coeur de l'hiver. L'écriture à la fois hyperréaliste et onirique de l'auteur vise à restituer au plus près la variété de ses expériences. Elle indique aussi un mode de vie. Ce "manuscrit d'Ecosse" est une méditation constante sur l'homme dans la nature, inséparable de la jubilation poétique. Ce texte est complété de deux autres ensembles, écrits dans la campagne bretonne. Mes Dieux Lares parle des petits hôtes qui partageait avec l'auteur une ancienne ferme sur la commune de Saint-Nolff (56). Le Souffle des pierres est consacré à la carrière gallo-romaine de Locuon, un site exceptionnel et méconnu du Centre-Bretagne. Cette fois encore, Jean-Pierre Delapré illustre ces pages avec une finesse de traits exceptionnelle, son approche étant tantôt d'une précision ultime, tantôt presque abstraite, comme le sont les silhouettes et les ombres d'êtres qui se dérobent. Ses photos, ses aquarelles, ses pastels et ses dessins sont réalisés en pleine nature, dans les mêmes conditions que les textes.
Extrait: rencontre d'un chat sauvage (Felis silvestris) près du Loch Shin, dans le nord de l'Ecosse: Est-ce bien, sur la route au loin, le demi-tour d'un animal mince ? Cela semblait à peine le jeu d'une ombre, un simulacre disparu au creux du fossé. Nous freinons pour voir. Soudain, sur un poteau de bordure apparaît, telle une lame surgie à la pointe d'un ressort, un chat sauvage ! Il nous jette un regard lumineux, vert comme la périphérie d'une flamme de soudure. Il tourne vers nous une trace de curiosité, un axe de silence. Son pelage est tigré, comme l'hésitation des reflets par les nuits de lune. Sa queue annelée se termine en pinceau noir. Sa légèreté acérée s'accorde à la barrière de bois et figure la halte d'un grand oiseau, avant qu'il ne saute sous les mélèzes.
Ecrits de Nature : Tome 1
Écrits de nature Tome I (Maurice Nadeau, 2017) comprend quatre recueils : Traques passagères, écrit en Grande-Bretagne dans le sillage des libellules ; La Folie des saules, voyage immobile dans les marais de la région de Vannes ; Une Passerelle de sable, parcours crépusculaire de la Baie d'Audierne ; Pêcheurs d'oiseaux, série de portraits d'oiseaux écrits en compagnie du photographe ornithologue sinagot Rémy Basque. Les textes d’Alexis Gloaguen sont accompagnés des illustrations et photographies de Jean-Pierre Delapré. Ce corpus comprend une série de portraits d’oiseaux saisis dans leurs paysages. Traques passagères (1989) a été écrit au Pays de Galles, en Cornouailles et dans le Devon (à Dartmoor), dans le sillage des libellules, et un inédit, Pêcheurs d’oiseaux. La Folie des saules (1992) est un voyage immobile dans les marais d’eau salants (et d’eau douce) près de Vannes. Un long chapitre concerne la chouette effraie, la nuit. Une Passerelle de sable (1990) se présente comme un parcours crépusculaire de la baie d’Audierne. L'ouvrage est illustré de dessins et de photos pris en milieu naturel par Pierre Delapré. Écrits de Nature est publié aux éditions Maurice Nadeau. https://www.kubweb.media/page/alexis-gloaguen-ecrits-nature-editions-nadeau/
La folie des Saules, 1992 ( extrait) Sur l’île des saules, je me voue à ne rien faire. Je m’endors presque et vois le soleil et les ombres jouer sur mes paupières. Comme les animaux que je guette en vain, je m’immobilise aux heures chaudes et fais le point en notant quelques mots. Le vent m’effleure tout juste. Le monde est une symphonie espacée. J’écoute les craquements d’un chêne, le grésillement des feuilles mortes sur les rameaux. Le cri de gorge d’une poule d’eau me requiert du côté de la rive et des champs, vers les touffes de joncs et de laîches. Elle m’échappe encore. Mais, revenu sur l’autre bord, je remarque, toutes proches, des sarcelles d’hiver circulant dans les chicanes des roseaux. Elles émettent leurs voyelles nasales. Sur fond brun, les canes entrouvrent le trait vert de leur miroir. Les mâles portent fièrement leur masque et, à l’arrière de leur livrée, un croissant jaune citron. La nature n’indique jamais où, ni sous quel angle regarder. On fouille un horizon et c’est derrière soi que tout a lieu. On scrute le ciel pour manquer un prodige à terre. On voit ce qui frappe l’œil, ce que notre langue agrippe d’un mot, et l’on néglige des spectacles rares ou discrets devant lesquels notre ignorance nous tient sans vue. Qu’avons-nous manqué d’immense en des lieux où tout semblait respirer l’ennui ? Combien d’yeux nous regardaient, de tympans et de flairs nous percevaient, de ventres sentaient notre avance sur le sol sans que nous l’ayons même soupçonné, du haut d’un univers restreint à nos sens et à nos rêves émoussés ? Je suis loin de tout saisir encore, mais la proximité de ces canards farouches me persuade que je suis à mon tour invisible et comme emmêlé aux sarments. C’est un progrès.
Une passerelle de sable 1990 illustrations Pierre Delapré Édition : Paris : Maurice Nadeau , DL 2018