Alexis Gloaguen est l'invité d'honneur de Lire la Bretagne, salon des écrivains bretons à Paris, organisé par la Mission bretonne, le samedi 26 mars. A cette occasion, Alexis Gloaguen accorde à la Lettre Dru un entretien filmé sur le site de la chapelle Notre Dame de la fosse, à Locuon, commune de Ploërdut (cliquez sur l'image). Il y parle de son rapport à la nature et de son prochain livre à paraître en mai, intitulé Surgies (éditions Diabase). Il répond aussi à la question « que signifie pour vous être un écrivain breton ». L'ancienne carrière gallo-romaine de Locuon, reconquise par les hêtres et les oiseaux, se situe près de la maison de l'écrivain, à Silfiac. C'est là qu'il s'est installé en 2010, après avoir pris sa retraite de professeur de philosophie. Dans de nombreux livres, Alexis Gloaguen s'est voué à décrire la nature où ses observations méticuleuses sont rapportées de façon plus poétique que naturaliste. Ces textes qui parlent d'Ecosse, Cornouailles, Saint-Pierre et Miquelon ou Labrador sont aujourd'hui regroupés dans les trois tomes Ecrits de nature (Maurice Nadeau éditeur). Il est aussi, entre autres, l'auteur d'une trilogie sur les grandes villes d'Amérique et du récit issu d'une résidence à Ouessant, La Chambre de veille (Maurice Nadeau 2012).
Parmi les silhouettes accoudées aux comptoirs du petit matin, il en est une qui réinvente un monde.*
Vendredi 26 juin Nous avons fêté la reprise de notre manifestation Thé, café et poésie en compagnie d’Alexis Gloaguen autour de lectures extraites de ses deux nouveaux opus Rues de Mercure(Diabase) & Ecrits de nature, Atlantique Nord (Maurice Nadeau)
la rencontre nous a emportés dans son univers aussi sensible que puissant. Son écriture dense & impressionniste se nourrit du mouvement d’un poète à l’écoute de la ville comme de la nature.
Au fil de ses lectures, nous avons sillonné les rues de New-York et Chicago, Vancouver et Tokyo, découvert le Labrador, ressenti les sensations, les émotions & retrouvé le plaisir d’entendre la poésie résonner dans nos librairies.
Merci à Alexis Gloaguen pour ses écrits, ses lectures et sa générosité Merci à Romain et Tatiana pour leur accueil
Lectures d’un printemps silencieux, par Alain Dugrand, 2020 Par les villes : Rues de mercure, Alexis Gloaguen (Diabase Littérature)
Article "Etonnants Voyageurs" sur "Rue de Mercure"
Il n’est pas très éloigné le temps, lambinant dans un compartiment direction Finistère, où nous lisions L’Atlantique Nord, d’Alexis Gloaguen. Pour le dire franchement, ces pages, éditées alors par l’irremplaçable découvreur Maurice Nadeau, nous prévenaient déjà d’une brassée de plaisirs. Rues de mercure renouvelle nos jubilations. Ces haltes de Gloaguen, New York, Halifax, Boston et Nashville, Ottawa et Washington raviront les amateurs d’équipées, tant il y a de grâces, d’émotions littéraires dans ces hasards urbains gorgés de sons, de toutes musiques. Ainsi, lorsqu'à Manhattan dans le soir, la netteté des lumières volette... autour des tubes métalliques des échafaudages . Cinq années, 1997-2002, autant de trouvailles dans les grandes cités d’Amérique du Nord. Poéteux, passez le chemin, le voyageur est écrivain seulement, mais d’un sacré calibre. Celui-ci ne néglige aucune saveur, aucune émotion, aucun « ressenti », comme disent maintenant les profs de philo à France-Culture. Rien ne manque dans cette allée de parc urbain : un pigeon ? « Ou plutôt des pattes de pigeon, rouges comme la vie ». Halifax, « une cigarette allumée sur les provinces atlantiques ». « La ville de Seattle, célèbre pour ses dépressions créatrices, met en garde ses propres junkies contre les dangers d’un voyage à Vancouver »… Partout dans le chaos, sans queue ni tête, des cités américaines, « tout s’enlise, rien n’aboutit, mais des images s’envolent, comme ces hérons des roseaux du New Jersey, frelatés de mercure ». Toronto : " Cet après-midi, comme chaque samedi depuis 1968, Kid Bastien et son groupe jouent leur variété de jazz Dixieland. Un blues de pavés humides envahit l’Amérique. Le trompette, le trombone et le saxo terminent debout sur les tables." Comme il est juste de varier les continents, voici ce que Gloaguen découvre ailleurs : « Lors de la vente d’un livre, le libraire japonais l’entoure d’une couverture de papier fort, soigneusement plié pour en épouser la forme extérieure. Monsieur Ichikawa me précise que ce n’est pas seulement pour protéger l’objet, par un souci de rigueur aérée que l’on retrouve dans la tenue des gens et de leurs gestes. C’est aussi pour le cas où on prêterait l’ouvrage. Il faudrait alors qu’il soit, pour le lecteur ami, intact, neuf comme le respect, luisant comme l’offrande au nouveau jour. Les égards pour l’autre – car tout bien, toute parole, tout destin circulent au sein d’un groupe et grâce à lui – sont inséparables de la vision collective de ce pays. Le livre, dans son aurore, durera bien plus longtemps qu’une vie humaine et, passé au fil des générations, portera le témoignage de l’âme. » Rue de mercure clôt cette trilogie Gloaguen, entamée par Veuves de verre et Digues de ciel. Grand bouquet de néons pour célébrer, en musique, ces fragments de nos mondes éprouvés par un tel écrivain. Hors classe. Non sans impatience. Alain Dugrand Association Etonnants Voyageurs Contacts 24, avenue des Français Libres 35000 RENNES Tél. 02 99 31 05 74
La folie des saules: Tome 1 " Ecrits de nature" par Albert Bensoussan 28 juillet 2017 C’est en philosophe à l’esprit zen qu’Alexis Gloaguen prend note de ses visions et les livre ici à Gilles Nadeau, après avoir ébloui, naguère, son père, le grand Maurice, notre maître nourricier. Mais, soucieux de sauvegarde, il nous délivre ce message que la fondation Nicolas-Hulot pour la Nature et l’Homme pourrait retenir : « C’est la rapidité croissante de la destruction des milieux, et les réactions contrastées de nos contemporains à cet égard – indifférence ou inquiétude croissantes – qui rendent nécessaire de dire ou plutôt de redire la nature aujourd’hui, et d’en montrer le caractère irremplaçable ».
Alexis Gloaguen, Écrits de nature, I. Illustrés par Jean-Pierre Delapré. Maurice Nadeau, 272 p., 25 €
Alexis Gloaguen est un homme de la nature. La sauvage, la lointaine, la pittoresque (digne d’être peinte, s’entend), authentique et vierge, celle qui avait poussé Gauguin à fuir en Bretagne, puis aux îles antillaises, puis à Tahiti et enfin aux Marquises… Il y a chez Alexis Gloaguen une quête émerveillée de cette nature que nos yeux citadins ne savent plus voir. Et le voilà observant la plus habile tisserande, l’araignée, le plus bel envol, la libellule, dont la métamorphose lui donne une leçon de métaphysique, l’effraie aux yeux de chouette qui ne vit que dans le silence et la nuit, tout ce qui vit, palpite, vibre, vole et ne vole pas. C’est d’après nature qu’Alexis Gloaguen déroule ici ses pages, assisté de son ami Jean-Pierre Delapré, artiste animalier à la plume aussi minutieuse que talentueuse. Ce premier volume d’écrits naturalistes rassemble plusieurs recueils qui, sans l’œil attentif de son éditeur, auraient fini, peut-être, aux oubliettes. Mais pour qui s’émerveille des métamorphoses de la larve qui donne naissance à la nymphe ou chrysalide, puis à la libellule, cette renaissance est signe de pérennité et guide d’existence. Les textes de Gloaguen, l’entomologiste, le naturaliste, le philosophe, le poète, franchissent ces divers postes d’observation – Bretagne, pays de Galles, Écosse, Cornouailles et Devon − pour arriver jusqu’à nous tout palpitants et voletant de leurs ailes de soie. Mais c’est le poète de Silfiac (Morbihan) qui nous parle, avec parfois un lyrisme homérique : « Le sentier s’effarouche entre les fourches et les lames pierreuses d’un Achéron pétrifié » − telles sont les Galles noires. Et là, dans le mystère d’une grandiose nature où les accidents de terrain sont moins pénalisants que les outrages de l’homme, les éphémères, les plus anciens insectes du monde (trois cents millions d’années, n’est-ce pas ?) − ces « idéogrammes vivants », cette « réalité métaphysique » −, donnent une leçon d’éternité, car ces insectes qui ne vivent que trois heures seront toujours là après nous, d’où cette pensée pascalienne : « La vie humaine, puissante mais précaire, paraît à peine un segment temporel, un claquement de doigts, une étoile promise à la nova et qui éclaterait en bulle de savon ».
En fait, l’auteur émerveillé sait toujours tirer de son observation une leçon de vie, et nous brosse, après l’intuition baudelairienne de l’albatros, cette extraordinaire définition de l’écrivain : « Cette araignée-crabe d’un vert de jade qui, retournée à l’extrémité d’une herbe, pattes pendantes, mais n’abandonnant pas un muscle, évoque une fleur étiolée et attend la conjonction ivre d’une mouche striée : tel peut être parfois l’écrivain au contact d’un monde qui ne lui ménage pas les coups de bottes. De victime il s’inverse en être retiré et ravisseur : larve de fourmilion au fond de son entonnoir d’éboulis, ou de phrygane à l’issue de sa gaine de pierre, de cicindèle prête à jaillir de son puits, le poète devrait pouvoir capturer le miracle du monde et ses aspects détestables parmi lesquels l’humanité figure en bonne place. Comme perforent les mandibules et les chélicères, les mots doivent traiter ce qui est pour l’écrivain le sel et la chair de la réalité. » Mais, à l’inverse de Baudelaire, ici le poète est souverain − bien que modeste et baissant la tête, lui qui connaît sa précarité et sa dette −, autant que peut l’être cette chouette joliment nommée la dame blanche à qui le naturaliste fournit proies délectables, mulots ou campagnols dont l’effraie vomira ensuite les déchets que son estomac ne peut assimiler, et ce sont alors, tels des gemmes mirifiques, ces boules duveteuses qui sont « comme des géodes ou des intérieurs d’améthystes » révélant « un univers d’osselets, de maxillaires et de têtes de rongeurs aux incisives jaunies ». Mais, philosophe à tout crin, Alexis Gloaguen sait toujours extraire la substantifique moelle, car c’est à nous que la nature, comme au premier jour et en son éternité, s’adresse : « Ces fourrures de terre libèrent une odeur de temps » : tout est dit. Mais le seul rapace, ou disons le prédateur, est l’homme. Qui n’a en tête cette catastrophe écologique majeure qu’est la marée noire ? Voici donc un petit pingouin couvert de pétrole, qu’il faut laver et nourrir en réparant ses plumes de l’huile mortifère. On le croit sauvé, on le rend à la nature, mais il est incapable de nager, il prend l’eau car son plumage, endommagé, n’est pas encore imperméable. « Je le ramène comme un bébé, dans une veste de treillis, tandis qu’il godille du bec », écrit son sauveteur, qui pointe un doigt accusateur vers la folie de l’homme : « Il sera long de restaurer ce qui fut détruit par notre inconséquence et relève aujourd’hui d’une dette sans mesure ». Pourtant, quoi de plus beau et de plus mélodieux qu’une marée qui « monte en clameur grave et se retire en vrilles aiguës » ? « Elle lance alentour ses griffes d’écume, lacets qui pétrifient les bottes et serrent l’esprit d’une panique. » La mer est musique, et l’auteur sait bien quel parti en a tiré Debussy, tout comme Béla Bartók « hantait les nuits d’été, épiant et notant les séquences des sauterelles, cigales et grillons pour sa musique future ».
Le poète ne fait pas que s’émerveiller ; ramenant toute la nature à lui, homme qui est, ne serait-ce que parce qu’il écrit et témoigne, la mesure de toute chose, il fait corps avec la matière originelle ; sous l’invocation de Buffon, qui prêchait la patiente observation, et de Saint-Exupéry qui se voulait arbre et abri pour les oiseaux, lui qui n’était qu’une aile volante, voilà Alexis relié au premier homme. Lui qui n’est qu’un « simple bond en attente », il vit soudain dans l’amitié d’une grenouille qui, tournant autour de lui et le regardant, l’intronise « au royaume des amphibiens », et le voilà, dit-il « restauré […] dans [sa] nature préhistorique ». Cette plongée dans la nature et dans le temps est découverte d’un moi, révélation d’un homme singulier dans l’immense et éternelle chaîne de la Création. Dans la folie des saules, dans l’Éden des ruines, dans la nuit des dames blanches, dans ces traques passagères, où la poésie est seulement la respiration de cette émerveillante Nature, celui qui dit faire ici le tour de sa « chambre à ciel ouvert », dans « la nuit d’un monde qui, par fatalité, nous échappe », nous délivre, en philosophe et en poète inspiré, une magistrale leçon de vie et de survie : Le monde se noie dans une lueur de bruine. Vers le nord glissent barges et courlis. La mer oscille sur une passerelle de sable. Parviendrai-je à l’orée de moi-même ? À la Une du n° 37
LE TÉLÉGRAMME 21 JUIN 2017 FRANÇOIS DE BEAULIEU AVEC LES MOTS D'ALEXIS GLOAGUEN Il y aura bientôt quarante ans qu’Alexis Gloaguen écrit des textes qui ont séduit les éditeurs les plus exigeants et des lecteurs attentifs à la beauté du monde et à celle des textes qui essaient d’en rendre compte. Nombre des livres publiés étaient épuisés. Les éditions Maurice Nadeau ont pris l’initiative de regrouper un premier ensemble s’inspirant aussi bien de la Bretagne que du pays de Galles ou du Devon sous le titre « Écrits de nature ». Le tout est illustré par des dessins et des photographies de Jean-Pierre Delapré. Nous donnons de brefs extraits ci-contre, car il est difficile de faire comprendre en quelques mots la force et la richesse des proses d’Alexis Gloaguen. Avril 1980, en baie d’Audierne. « L’aurore s’étend sur la baie. Les vagues achèvent la reprise de la côte et de l’arc violet du sable. Un continent parallèle se referme, se restreint à son dernier cercle, à une passerelle étroite au pied des maisons qui empèsent la dune. Parvenu presque à mi-plage, aux avant-postes des oursins de sable, je me perds dans une géographie d’écume. Tous les pas sont effacés. Les goélands s’alarment de nos formes imprécises entre les îles de sable et le lit des courants de déchirures. Les tubes des vers limicoles acquiescent à la vague. Des bécasseaux fuient dans le sombre comme un autre déferlement. Peu à peu le bleu se distingue du vert. Le sable éclot à sa couleur diurne. J’infléchis mes pas, jeté à nouveau vers la rive par un effet de lisière. J’aimerais savoir lire les stries et la triangulation cryptique du sable en aval des graviers : les coquillages morts traduisent une vie sous le sol que l’on devine si différente de ces rebuts ! » Les bécasseaux sanderlings « Fuyant le flux, des bécasseaux sanderlings trottinent l’un derrière l’autre à l’orée de l’eau. Ils cherchent entre les vagues et, de leurs becs sensibles, au fond du sable, un lot de visions meurtries. Quand la mer se retire, ils retournent sur l’aire découverte, pressés, anxieux, roulant un peu. Aux lisières mouillées, la rondeur de chaque oiseau est sous-tendue d’un reflet en flocon. Leurs poitrines blanches les carènent comme des barques. Leurs pattes courtes et couleur encre de poulpe, situées en arrière, leur prêtent le trot mécanique de ces oiseaux-jouets dont le cou paraît mû par le soufflet du souci et de l’attention. Ainsi se baissent-ils de temps en temps vers le sol pour explorer le mystère de proies “vues par les yeux de l’intuition”. Et lorsqu’ils “vermillent” de la sorte, c’est brusquement qu’ils interrompent leur course et plongent net leur bec dans le sable. Un oeil sur la vague, ils oscillent ensemble dans leurs quêtes obliques, de droite ou de gauche, comme des êtres dont la liberté consisterait à hésiter toujours. » Les marais de Séné « Émanée de la boue, quêtant à quelques mètres de moi sur une plage de jardin Zen, une troupe de bécasseaux cocorlis me saute au regard. Je vois à merveille leur plumage roussâtre qui semble un panier à feu transporté par eux dans les climats du froid. Je vois le bec arqué qui leur a valu le nom de « bécasseaux courlis », bien que, rares et presque allusifs, ils n’aient pas gagné au fil des siècles de vrai surnom. Derrière la livrée rousse apparaissent, par flocules de blancheur, par terminaisons décolorées, les plumes pâles de l’hiver qui bientôt remplaceront celles de la saison finissante. Et d’assister à cette métamorphose, à ces nuées effilochées sur le ciel de leur corps, me touche au tréfonds, soulage ma fatigue et mon découragement. Enfin la nature fait signe et récompense une patience désespérée. (…) L’oeil épuisé, j’abandonne un peu jumelles et longue-vue. Le soleil, dont j’ignorais l’éclat pour tirer bénéfice de la clarté rasante, existe enfin pour moi. Il faut revenir à l’oeil nu sous peine de désapprendre à voir. Alors le plaisir est immédiat, sans le détour qu’introduisent les techniques les plus simples. Enveloppe vivante, sans hiérarchie des urgences, sans sélection, le paysage existe. L’alchimie des sensations opère à nouveau. Que l’homme cesse d’être directeur et le monde se présente à lui. »
OUEST FRANCE 23 NOVEMBRE 2017 Livres par LOÏC TISSOT L'enivrante Nature d'Alexis Gloaguen Bien rares sont les lectures aussi denses. Le premier tome des Écrits de Nature d'Alexis Gloaguen se lit et se relit. Le temps que le verbe infuse. Le plus simple est de mettre ses textes en bouche. Comme un bon whisky écossais, ça ravit le palais. Les éditions Maurice Nadeau ont eu la judicieuse idée de rééditer les parcours de ce voyageur de l'immobile. On se met dans le sillage du marcheur solitaire. On le voit aisément, planté là, dans la contemplation des libellules ou de la chouette effraie : « Au fond, connaître l'animal, c'est penser dans sa peau, voir par ses yeux, substituer ses intérêts aux nôtres, ce qui, en retour vient à nous modifier. » Qu'il soit en Cornouailles britannique, au pays de Galles, en baie d'Audierne ou dans les marais salants de la région de Vannes, l'auteur morbihannais l'écrit si bien : « Habiter un lieu, c'est le laisser nous apprendre à voir et nous mener à un art de vie. » Chez lui, le paysage est le personnage. Alexis Gloaguen réveille nos sens : « Le vent est une boisson où viendraient éclore les alvéoles du plus fort alcool. » La Nature peut être enivrante...
LE TRÉGOR 14/20 SEPTEMBRE 2017 Philippe Gestin Des écrits plus vrais que nature Récit de voyage, promenade poétique, balade naturaliste, manifeste écologiste. On ne sait quel dénomination donner à ces écrits de nature Ils sont un peu de tout cela et un peu plus sans doute, l'auteur affichant également une envie de « roman de lieu, qui est un personnage, au premier plan » Qu'importe ! Une chose est certaine, la réédition par les éditions Maurice Nadeau, prévue en trois volumes, des textes d'Alexis Gloaguen est tout sauf inopportune D'abord parce que ces pérégrinations sont d'un intérêt litteraire évident que goûteront tous les amoureux d'une écriture poétique et sensible. Écriture de paysage Selon l'envie, la géographie, on se laisse aisément porter dans ses pas « C'est une écriture de paysage, comme il existe une peinture de paysage. Elle épouse le mystère du monde », nous dit-il, conscient de pouvoir parfois dérouter. Fin observateur, Alexis Gloaguen sait trouver le point de fixation, le détail d'un paysage apparemment banal, pour le mettre en relief Par l'image, l'adjectif juste, il donne à un envol d'oiseaux ou à l'aurore sur une dune une acuité particulière. En amateur éclairé, il se fait tour a tour entomologiste et ornithologue. Si la nature, vivante, vibrante, est la principale destination de la plume, il n'en oublie pas les hommes et les lieux que ceux-ci ont bâtis puis abandonnés, pour mieux en mesurer l'aspect éphémère. Double intérêt que cet ouvrage car ces milieux, ces habitants si soigneusement, voire si amoureusement dépeints, n'ont jamais été aussi fragilisés qu'aujourd'hui. En résonance « Je le constate à travers les nouveaux lecteurs, ils sont plus intéressés, plus réactifs que ceux des années 70. Il y a une inquiétude, une prise de conscience. Mes livres étaient en avance sur leur temps, ils rencontrent leur époque », raconte ce fou de nature. Dont, dans cette réédition soignée, les beaux dessins et photos de Jean-Pierre Delapre viennent judicieusement souligner le texte. Né en Bretagne, Alexis Gloaguen a beaucoup voyagé avant de revenir se poser dans le Morbihan. Tous épuisés, les textes réunis dans ce premier tome nous mènent dans le pays de Vannes, en baie d'Audierne, au Pays de Galles, en Cornouailles et dans le Devon. Des lieux magiques que l'auteur incite, à sa façon, à decouvrir et surtout à préserver. Philippe Gestin
LICHEN - REVUE DE POÉSIE http://lichen-poesie.blogspot.fr/p/note-de-lecture-16.html par Élisée Bec. 1 JUILLET 2017 Alexis Gloaguen est une sorte de synthèse entre Nicolas Bouvier (pour les voyages et les descriptions de paysages), Jean-Henri Fabre (pour les hypotyposes des insectes — les libellules en particulier — et leurs métamorphoses) et Jules Renard (pour la pertinence et la sobriété des portraits animaliers). À la croisée des chemins de la philosophie naturaliste (pour ne pas dire "écologiste"), de la poésie et de l'observation scientifique (entomologique, ornithologique, voire géologique), Gloaguen écrit sur place (dans le noir, sous la pluie, dans les situations les plus inconfortables...) ces notes, témoignages de longs moments passés dansla nature, tout autant contemplation qu'enquête. Quatre ouvrages sont réunis dans ce tome I (l'éditeur en annonce deux autres) : * Traques passagères, qui nous emmène au Pays de Galles, dans le Devon, les Cornouailles anglaises, en Écosse et en Bretagne (entre 1978 et 1981) ; * Une passerelle de sable, dans la Baie d'Audierne (1980) ; * La folie des saules, dans les étangs du sud de Vannes (1989-1991) ; * Pêcheurs d'oiseaux, également dans le golfe du Morbihan (1989-1992). Ce que Gloaguen compose, dans ces textes, ce sont des "parcours", des croquis littéraires pris sur le vif, au cours de déplacements lents (marche le plus souvent, ou barque sur étangs et canaux) ou de reptations minutieuses et silencieuses autour des marais. Méditant une "poétique des insectes" (p. 35), c'est un contemplatif : "Il est accordé aux vieilles personnes le loisir de contempler. Tout homme doit prendre ce droit et donner au monde celui de se refaire : l'un et l'autre trouveraient ainsi plus juste place." (p. 110) Capable de se couler "dans une anesthésie d'attente qui n'est plus tout à fait humaine et dont [il] sor[t] en participant à l'écriture comme à un ciel auquel [il] remonterai[t]" (p. 178), il vit en harmonie discrète avec la nature : "Comme un animal, j'ai ici mes repères, mes gîtes, mes rémanences. Traces, coulées, préférences muettes : je me dépouille de ma mue d'homme ; comme en une forme d'amour avec la terre, sous la chorégraphie des oiseaux qui ondoient dans le ciel." (p. 171) "Car, ajoute-t-il, je suis passé de l'autre côté — dans la nuit des mammifères d'origine — et, ce faisant, j'ai trahi l'humain, rejoint mes racines charnelles, une étrangère sensualité, un regard d'enveloppement dont on ne sait où il se situe." (p. 217) Et s'il "demeure grammairien", c'est "pour traquer la syntaxe de la vie, faire le lien avec ce qui est si délicieusement là et si vite retiré." (p. 188-189) C'est à la fois un observateur minutieux et un poète qui parle : "Les mélèzes aux plumets naissants, qui gardent l'hiver leurs pommes en forme de tatous miniatures" (p. 17) Et là surgit un cairn. Cette pierre est le calme planté dans la terre quand tout s'évide en un rougeoiment d'herbes, elle est l'oeil de l'hélice lacérée des nuages, le centre d'une cave de tourbillons. Deux corbeaux s'en élèvent, qui restent pendus aux fils de pluie." (p. 45) "Les lichens sur la falaise sont devenus lisibles, rafraîchis par les maléfices de l'air." (p. 121) Gloaguen émaille ses pages de réflexions naturalistes (et prophétiques) sur les rapports de l'humain et de la nature : "Il y a erreur partielle à déplorer toujours les cicatrices infligées par l'homme à la nature, lors de cette guerre de tranchées qu'il mène et qu'il nomme travail. Lorsque l'être humain se retire, en effet — et il sera peut-être amené à une retraite qui le surprendra lui-même —, il y a place pour une plus grande variété de milieux." (p. 47) "Entre deux jets de bruyère repose, lègère, la pelote de réjection d'un rapace : oblongue et tissée de poils de rongeurs, violette car c'est la saison des myrtilles dont les mulots sont à la fois l'alambic et la chair d'ivresse, corsetée d'élytres de coléoptères, de pépins, sèche et propre... Que sera l'humanité si elle est un jour écartée, après avoir servi ?" (p. 57) "Il y a peu de la route au cours d'eau et certaines voies, crevassées par les racines et creusées jusqu'au gravier, seront peut-être les rivières de l'avenir." (p. 59) À propos de ces lieux qu'il aime hanter, à la recherche de libellules (friches industrielles, gares désaffectées, carrières ou mines abandonnées...), il a cette phrase magistrale : "Loin des très rares endroits intouchés par l'homme, ces ruines en renaissance sont les laboratoires de plus en plus fréquents de ce que la terre deviendra sans doute : un éden aux ordures." (p. 111) Une remarque en forme de loi universelle : "Que l'homme cesse d'être directeur et le monde se présente à lui." (p. 196) Et un dernier conseil : "Il ne faut pas viser à tout dire mais, par le picotement du style, capter l'essentiel, le trait minuscule qui distinguera une expérience de toutes les autres. Ainsi la poésie cherche par l'expression première à traduire la jeunesse du monde." (p. 201) Pour Lichen, Élisée Bec.